Bonjour à tous, le jeudi 20 mai 2021, Annabelle Kremer-Lecointre, est venue, dans le cadre de la sortie de son dernier livre, rencontrer les élèves de seconde du lycée Jeanne d’Arc à Nancy. Après nous avoir sensibilisés à l’impact des femmes dans le domaine scientifique, en nous dressant quelques portraits de femmes de science, extraits de son dernier ouvrage, elle a su capter notre attention en nous dévoilant quelques anecdotes liées à sa mission scientifique et pédagogique en Antarctique sur la base de Dumont d’Urville. Une immersion de deux mois dans un univers encore trop masculin pour ce début de XXIème siècle, pensez ! 9 femmes en tout et pour tout ! Nous avons eu la chance de pouvoir l’interviewer dans la salle Audiovisuelle du CDI, et de tenter de comprendre pourquoi aujourd’hui encore, tant de femmes hésitent à se lancer dans des études longues dans les filières scientifiques. Pour des raisons culturelles, familiales ou autres ? En Europe aujourd’hui, en moyenne seuls 30% des chercheurs sont des femmes ! Et quoi de plus simple pour sensibiliser les lycéens à ces chiffres que de venir à leur rencontre…
Alors si vous n’avez pu être présents à cette conférence, nous vous proposons de découvrir Annabelle Kremer-Lecointre avec nous.
A.K.L. C’est un réel plaisir pour moi de venir dans votre établissement aujourd’hui, car ces interventions en direction des jeunes me tiennent à cœur. De plus, en tant que femme, je me sens légitime d’en parler à la génération qui est la vôtre, car c’est celle-ci qui va faire changer les choses. Les actes font plus que les lois, car ce ne sont pas ces dernières qui à elles seules peuvent changer les choses. C’est d’abord par l’éducation, que l’on peut changer une société.
A.K.L. Fort heureusement, le pourcentage de femmes chercheuses dans le monde a augmenté, frôlant les 33 % à l’échelle mondiale. En France, c’est seulement 28 % (et 20% s’agissant de la recherche en entreprise), moins que la moyenne européenne de 30%. Cela reste toujours trop faible. C’est pourquoi il ne faut pas s’endormir. Il faut continuer à se battre car les droits que nous possédons ne sont pas acquis définitivement ! On assiste aujourd’hui au retour du fondamentalisme religieux et à celui des conservatismes culturels. Et si je vous demande de me citer les noms de scientifiques célèbres ? Vous me répondez Albert Einstein, Charles Darwin, Archimède, Copernic, Newton, Lavoisier et parfois Marie Curie… Vous voyez bien que l’on manque de modèles féminins. Au début de la pandémie de Covid19, avez-vous entendu beaucoup de femmes spécialistes des questions liées au virus s’exprimer sur les ondes ?
A.K.L. Aujourd’hui la misogynie est dénoncée. Mais les lois en vigueur en France sur l’égalité entre les hommes et les femmes ne sont pas toujours appliquées, notamment sur la question des salaires, et elles n’empêchent en rien les continuelles oppressions. C’est pour cela qu’il est primordial de continuer à se battre et à agir en sensibilisant toutes les générations, et pas seulement de dénoncer les injustices. Aujourd’hui encore, les femmes rencontrent des difficultés pour se faire une place dans le monde scientifique où persiste une certaine domination masculine et un certain machisme. Ceci entraîne un effet « plafond de verre », que les femmes ressentent souvent au cours de leur carrière. Elles ont le sentiment que les postes à responsabilités ne leur sont pas accessibles, qu’elles ne peuvent pas évoluer comme leurs collègues masculins. Il faut du temps pour que les mentalités changent. Mais regardez l’histoire des sciences, combien de femmes ont vu leurs travaux reconnus ? Souvenez-vous du cas de Rosalind Franklin, cette physico-chimiste qui a participé à la découverte de la structure de l’ADN grâce à sa maîtrise de la technique de diffraction des rayons X. Qui a été récompensé par le Prix Nobel en 1962 ? Ses confrères masculins Francis Crick, James Watson et Maurice Wilkins. Bien sûr, eux aussi ont joué un rôle important dans cette découverte mais le nom de Franklin n’y a pas été associé. Et quand bien même Rosalind est décédée quatre ans plus tôt d’un cancer, il aurait été juste de lui rendre hommage pour sa remarquable contribution. Elle a été victime de ce que l’on appelle l’ « effet Matilda ». C’est ce qui désigne le déni ou la minimisation de la contribution des femmes scientifiques à la recherche, et le fait que le résultat de leur travail soit souvent attribué à leurs collègues masculins. Aujourd’hui on commence à réhabiliter la place des chercheuses et c’est pourquoi j’ai eu envie d’écrire ce livre.
A.K.L. Pendant longtemps, je ne savais pas quoi faire. Mon père était policier et ma mère, femme au foyer, donc pas du tout dans le domaine des sciences. Mais j’étais déterminée à travailler et à être indépendante. Le seul problème est que tout me plaisait, c’est pourquoi je n’arrivais pas à faire de choix. Certains de mes professeurs ont été déterminants, notamment ma professeure de mathématiques que j’ai eu la chance d’avoir durant mes trois années de lycée ou mon professeur de géologie lors de mes études en classes préparatoires. Je n’ai pas poursuivi en école d’ingénieur car entre temps je m’étais découvert une véritable passion pour la prise de parole et pour la transmission des connaissances et c’est ce qui m’a aidée à m’orienter vers une Licence-maîtrise de biologie-géologie et la préparation ensuite du CAPES et d’une agrégation avec spécialité géologie. Enseigner me convient à 100% car c’est le contact avec mes élèves (principalement des 4ème/3ième aujourd’hui) qui me pousse à apprendre et à persévérer. S’il devait arriver que je change de métier, je me tournerais volontiers vers le journalisme scientifique, car c’est un domaine où l’on recherche des profils avec une formation scientifique solide et suffisante pour pouvoir vulgariser sans erreur les avancées de la science.
A.K.L. Je voudrais d’abord préciser que j’ai eu beaucoup de chance car beaucoup d’hommes m’ont aidée dans mon parcours professionnel. Les hommes peuvent jouer un rôle primordial pour aider à faire éclater ce fameux plafond de verre. L’une des dernières discriminations ressenties fut liée à mon travail en Antarctique en 2017 sur la base scientifique Dumont D’Urville. Au moment du départ pour cette mission qui devait durer deux mois, certaines femmes m’ont reproché de délaisser mes enfants : comment allaient-ils faire sans moi ? Je me suis empressée de répondre que mes enfants avaient aussi un papa formidable ! Mais la remarque qui m’a le plus touchée est certainement celle que j’ai essuyée sur le bateau en partance pour l’Antarctique. Le médecin m’a convoquée peu avant notre arrivée pour me dire « Regarde-toi dans la glace ! Tu souris trop ! Tu vas arriver sur une base de recherche où certains hommes n’ont pas vu de femme ou presque depuis 1 an ! ». J’ai été sidérée par cette remarque sexiste, qui était tout aussi insultante pour moi que pour les hommes de la mission ! J’ai eu fort heureusement le soutien de la future commandante du bateau et j’ai pu en parler autour de moi ! Sur place, il n’y avait que 9 femmes pour 60 hommes. Cette minorité féminine ne m’a cependant pas porté préjudice dans la suite de mon expédition.
A.K.L. Mes activités de formatrice d’enseignants, au contact de la recherche, à la Maison pour la Science en Alsace ainsi que mon métier d’enseignante en SVT m’ont convaincue que la littérature scientifique pouvait éveiller chez les jeunes leur curiosité scientifique tout en leur donnant le plaisir de lire. Soutenue dans ce projet par celui qui est devenu des années plus tard mon mari ! je me suis lancée dans l’écriture de mon premier livre « Charles Darwin, une révolution » en 2015. L’année suivante, c’est une remarque d’une élève qui se demandait si des femmes chercheuses en science existaient qui m’a confortée dans l’idée d’écrire un jour un livre sur les femmes scientifiques ! D’où mon dernier ouvrage « Femmes de science. A la rencontre de 14 chercheuses d’hier et d’aujourd’hui ». Je terminerai sur ceci : surtout croyez en vos projets et mettez en avant vos forces !
Nous remercions Annabelle Kremer-Lecointre d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Nous espérons la retrouver à travers ses futurs projets. Merci à vous, chers lecteurs d’avoir suivi cet article et n’hésitez pas à découvrir les livres d’Annabelle Kremer-Lecointre.
A bientôt,
Célia, Georges, Lucie (futures élèves de 1ère et rédactrices pour le journal Le Bûcher)